Pour saluer les Editions de Minuit
Publié le 08/01/2018 à 01:00 - 7 min - Modifié le 29/12/2017 par FLO L
Nées en France dans la clandestinité en 1941, à une époque où la littérature pouvait sembler un luxe inutile, les Éditions de Minuit gardent encore aujourd’hui cette volonté de publier des textes libres, affranchis des engouements passagers.
Naissance de Minuit
En septembre 1940, les autorités allemandes font paraître la première liste Otto qui recense les livres interdits de vente ou de parution dans la France occupée. Face à cette censure, deux hommes vont s’allier afin que la littérature ne baisse pas la garde : Pierre de Lescure et Jean Bruller, les fondateurs des Éditions de Minuit. Lors d’une conférence donnée en 1944, Pierre de Lescure déclarera :
« Je me suis dit que la pensée doit s’exprimer malgré les mots d’ordre et j’ai pris la décision […] de créer des livres qui pourraient permettre aux écrivains français de s’exprimer au milieu de cette nuit fabriquée par les maîtres de la guerre ». La maison d’édition voit le jour dans la clandestinité en 1941 avec une volonté de « préserver la vie intérieure des artistes et de servir librement l’art des écrivains ».
Jean Bruller, alias Vercors, relate avec force détails et anecdotes dans La bataille du silence les différentes étapes de la genèse des Éditions de Minuit. Il précise comment Pierre de Lescure et lui se répartirent le travail :
« Nous nous partageâmes les tâches : je connaissais peu d’écrivains, il [Pierre de Lescure] connaissait peu d’imprimeurs ; à lui donc la chasse aux manuscrits, à moi de les faire imprimer. On commencerait par mon propre récit. »
Ainsi en février 1942, paraît Le silence de la mer. Le texte de Vercors est accompagné du manifeste des Éditions de Minuit rédigé par Pierre de Lescure et dont voici un extrait :
« Il existe encore en France des écrivains qui ne connaissent pas les antichambres et refusent les mots d’ordre. Ils sentent profondément que la pensée doit s’exprimer. Pour agir sur d’autres pensées, sans doute, mais surtout parce que, s’il ne s’exprime pas, l’esprit meurt […] »
L’importance des choix
Cet esprit fondateur semble bien toujours servir de fil rouge à la ligne éditoriale qui encadre le choix des romans publiés. C’est comme la griffe d’un couturier, il y a un esprit, un air, un souffle Minuit. Les auteurs en sont bien conscients et ne sont pas là par hasard.
Voici quelques mots de l’écrivain Tanguy Viel, invité à s’exprimer sur ce qui caractérise son éditeur :
« […] l’idée est toujours que préside chez Minuit ce même goût pour la vérité, c’est-à-dire pour l’évidence du texte. Pour le dire vite, ce qui continue à me plaire avec la même intensité, c’est qu’un texte de chez Minuit, dans la plupart des cas, ne demande rien au monde extérieur, il se pose là, assez discrètement finalement, mais il est là, c’est tout. Il invente son petit monde.»
Cette évidence du texte évoquée par Tanguy Viel fait écho au graphisme épuré des couvertures des Éditions de Minuit, presque inchangé depuis l’origine. Pour les textes littéraires on retrouve une couverture blanche marquée d’un liseré bleu, imprimée en noir et bleu et ornée du fameux logo composé d’une étoile et d’un m.
C’est Vercors qui dessine en 1945 la marque de fabrique de la maison d’édition. La réédition en 1945 du recueil de poèmes Au rendez-vous allemand de Paul Eluard est le premier ouvrage qui arbore sur sa couverture l’étoile de Minuit.
La sobriété des couvertures, pour les romans, illustre la volonté dès l’origine de publier de « beaux livres ». Les fondateurs choisirent ainsi un papier de qualité, une typographie soignée et une mise en page élégante. Non seulement les Éditions de Minuit ont réussi le tour de force de publier des livres d’une grande qualité matérielle durant leur période de clandestinité, mais elles continuent de le faire aujourd’hui. Détail, qui n’en est pas un, trop rare à l’époque actuelle pour ne pas être souligné : les cahiers des livres Minuit sont toujours des cahiers cousus ! Comme si l’esprit des débuts était toujours à l’œuvre. Vercors s’exprime ainsi dans La bataille du Silence :
« […] je suis sûr que cette élégance frappera les imaginations. Il est bon qu’on se dise que l’éditeur, l’imprimeur, les ouvriers n’ont pas hésité à passer plus de temps, donc à courir plus de risques, pour la seule fierté de la belle ouvrage ».
De qui Minuit est-il le nom ?
Imagination et élégance, il fallait en avoir à coup sûr pour accepter et se réjouir de publier, en mars 1951, le roman, refusé par les éditions Gallimard, d’un certain Samuel Beckett : Molloy. Beckett obtiendra le Prix Nobel de littérature en 1969. Claude Simon, auteur publié chez Minuit à partir de 1957, l’obtiendra en 1985.
Jérôme Lindon évoque le prix Nobel de littérature de Beckett :
Les gommes, premier livre d’ Alain Robbe-Grillet paraît en 1953. En 1957 il publie La jalousie et Nathalie Sarraute publie Tropismes (dans une deuxième édition). Un article du Monde intitulé « Le nouveau roman » fera la critique des deux ouvrages. Jérôme Lindon précisera : « Alain Robbe-Grillet et moi nous avons eu l’idée d’affubler les deux mots d’une majuscule et d’en faire un drapeau pour les écrivains de la maison. » Le Nouveau Roman était né.
1957 est aussi l’année de parution de La modification de Michel Butor, roman couronné du Prix Renaudot.
En 1958, Marguerite Duras quitte la maison Gallimard et fait paraître aux Éditions de Minuit son roman Moderato cantabile. Engagée contre la guerre en Algérie, Marguerite Duras fait un choix qui est également idéologique. Jérôme Lindon, directeur de Minuit de 1948 à 2001, éditera de nombreux textes et récits contre la torture pratiquée en Algérie par l’armée française. Sur ce sujet, La question d’Henri Alleg dans la collection Documents paraît en février 1958.
Prendre des risques et garder intact le goût des découvertes : deux préceptes suivis au fil du temps par les Éditions de Minuit dans la constitution de leur catalogue. Les parutions plus récentes ne démentent pas cet engagement en faveur d’une littérature aboutie, c’est-à-dire issue d’un cheminement. L’écrivain travaille les mots comme une matière première. Les romans publiés chez Minuit donnent souvent l’impression de lire un texte à la fois épuré et dense, comme réduit à l’essentiel. Est-ce dû à la méfiance des auteurs vis-à-vis des adjectifs ?…
Lire les auteurs Minuit aujourd’hui :
Dans la foule : Laurent Mauvignier raconte la tragédie du stade du Heysel. Le récit est construit sous forme d’épisodes successifs mettant en scène des petits groupes de personnages ; étape après étape le drame se rapproche. On ressent l’intimité d’un huis clos qui nous pousse et nous tire jusqu’à la violence collective.
Viviane Elisabeth Fauville : dans son premier roman Julia Deck met en scène une femme qui ne semble pas être en possession de toutes ses facultés mentales. Son psychanalyste est retrouvé assassiné d’un coup de couteau. L’écriture fine et concise pour aller à l’essentiel des faits, comme dans une enquête policière, retrace le parcours de cette femme que tout accuse mais que personne ne croit coupable.
Trois jours chez ma tante : le roman d’Yves Ravey est un récit qui se resserre comme un étau pour prendre au piège son narrateur. Marcello nous raconte, sans psychologie apparente, comment et pourquoi il revient auprès de cette vieille tante très riche qui a décidé de ne plus lui verser son chèque mensuel. Un texte teinté d’humour noir.
Et aussi : Eric Chevillard, Tanguy Viel, Pierre Bayard, Anne Godard, Jean-Philippe Toussaint, Hélène Lenoir, Christian Oster, Jean Echenoz, Christian Gailly, …
Dans les collections de la Bibliothèque municipale de Lyon :
Bibliographie des Éditions de Minuit d’Henri Vignes
Les Éditions de Minuit 1942-1955 : Le devoir d’insoumission d’Anne Simonin
La bataille du Silence : souvenirs de Minuit de Vercors
Tanguy Viel parle des Editions de Minuit : entretien réalisé par Amandine Riant et Marie-Thérèse Roinet
Pour aller plus loin :
Existe-t-il un style Minuit ? article sur Fabula
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