La longue marche de l'Université de Lyon
Publié le 15/01/2009 à 00:00 - 28 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux
Sommaire
32009, l’an 1 de l’autonomie de l’université Lyon I
2008, l’an 1 de l’Université de Lyon
Les racines de l’Université de Lyon
- Du Moyen âge aux Trente Glorieuses
- Guerres picrocholines
- Dernière ligne droite avant l’Université de Lyon
22009, l’an 1 de l’autonomie de l’université Lyon I2
- Acteurs de l’économie Rhône-Alpes
- Décembre 2008
De quoi s’agit-il ? Dans un article paru le 1er janvier 2009 dans Le Monde, intitulé « Avec l’autonomie, les universités doivent apprendre la gestion des ressources humaines » Catherine Rollot déclare : 20 universités, toutes volontaires, sont devenues le 1er janvier totalement autonomes dans le cadre de la loi LRU (Libertés et Responsabilités des Universités). Ces pionnières, qui représentent 315 000 étudiants et 19 000 enseignants-chercheurs, géreront à l’avenir l’intégralité (et non plus le quart) de leur budget, mais aussi leur masse salariale et leurs ressources humaines. “Révolution culturelle” pour la ministre de l’Enseignement supérieur, Valérie Pécresse, “privatisation” dangereuse pour d’autres, la réforme doit s’achever dans les 85 universités en 2012… Concrètement, les présidents des universités devenues autonomes auront toute latitude en matière d’attribution de primes et d’évolution de carrière des enseignants (détachement, titularisation…)… Autre nouveauté : ils pourront moduler les heures de chaque enseignant-chercheur, entre enseignement, recherche et tâches administratives.
Les « autonomes » ne le seront cependant pas à 100% : elles ne pourront mettre en place une sélection à l’entrée, ni fixer comme elles le souhaiteraient les frais de scolarité.
Malgré une nouvelle tentative de blocage de l’intersyndicale (FSU, FO, CGT, Sud-Recherches), qui ne souhaite pas « paralyser l’université mais de ralentir les évolutions prévues par la loi LRU… » (Le Progrès du 06/01/2009) le CA de Lyon I a adopté son budget. Proche de 350 M€, soit trois fois supérieur à l’enveloppe 2008, il doit permettre à l’université Lyon I de gérer l’intégralité de ses dépenses, dont ses 5 000 employés. Les moyens seront désormais accordés à 80% sur le niveau d’activité (nombre d’étudiants présents aux examens, nombre d’enseignants-chercheurs publiants) et à 20% sur des critères de performance tels que cotation des unités de recherche, insertion professionnelle, qualité de gestion, taux de réussite en licence… Le ministère accompagne chaque université par une dotation exceptionnelle de 250 000 €.
Performance ?!? Rien de bien nouveau, la culture de l’évaluation existe à l’université depuis longtemps, en réponse aux demandes (parfois incongrues) du Ministère. Depuis la mise en place en 1988 de la politique contractuelle, les universités ont même pris en main leur gestion, produisant leurs propres informations sur elles-mêmes, simplement, par exemple, pour produire cette fameuse analyse de l’existant, préalable à la définition d’une stratégie.
Concurrence ?!? Elle existe déjà. L’Institute of Higher Education de l’Université Jiao Tong de Shanghai publie un classement annuel des universités du monde : plus de 2 000 universités sont passées en revue et près de 1 000 sont classées. La ministre de l’Enseignement supérieur Valérie Pécresse déclarait récemment dans Le Figaro que sa politique visait la présence de dix universités françaises dans le Top 100 de ce classement. Paris VI était en 2006 à la 45e place mondiale et la 16e européenne, Strasbourg I était 96 mondiale et 32e européenne, Lyon I entre 201e-300e au niveau mondial et 79e-122e au niveau européen.
61 % des présidents d’université et directeurs de grande école ont pour objectif explicite d’améliorer leur rang dans le classement de Shanghai. Mais le sénateur et rapporteur UMP Joël Bourdin propose une démarche alternative, à l’allemande, une sorte de Shanghai européen, basé sur des données factuelles mais aussi des indicateurs d’opinion (relations avec les professeurs, organisation des études, de la bibliothèque, préparation à l’entrée sur le marché du travail…). Ces informations permettraient ensuite des « classements à la carte » en fonction des priorités de chacun. ( « La France veut hisser ses universités dans les classements mondiaux » in Le Monde du 3 juillet 2008. )
La ministre Valérie Pécresse annonce par ailleurs que le budget 2009 de l’ensemble des universités devraient bénéficier d’une augmentation d’au moins 10%, et de 25% pour celles comme Lyon II et Lyon III qui ont subi d’importants retards dans la progression des moyens.
Une bonne nouvelle relativisée cependant par le journaliste de Libération Sylvestre Huet s’exprimant le 15 décembre 2008 sur le site Sciences.blogs.liberation.fr : l’idée selon laquelle l’Université était sous-financée est tellement bien passée que tout gouvernement est jugé sur sa capacité à déployer des moyens nouveaux importants, correspondants à cette aune. Les mieux lotis trouvent leur situation “normale”, les moins lotis la trouvent injuste. Et personne ne dit que cela suffit…
Le texte de la loi dite LRU, qui modifie sensiblement la Loi Savary (1984).
Fiche pratique du ministère de l’Enseignement supérieur
Le site la Nouvelle Université : textes, statistiques, ce site est destiné à communiquer sur la loi LRU
La loi LRU, depuis son adoption en août 2007, fait l’objet de controverses entre partis politiques, organisations étudiantes, organisations du personnel des universités :
- Sur les partisans et les opposants, voir l’article de Wikipedia
- Un interview de Lionel Collet, président de Lyon I, dans le journal 20 minutes du 5 janvier 2009 « Lyon I est la première à prendre son envol : « aucun poste supprimé, mais des réaffectations légitimes ».
22008, l’an 1 de l’Université de Lyon2
Le 21 mars 2007, après plus de dix années de dialogue, d’échanges, de coordination et de conduites de projets, les établissements d’enseignement supérieur de la région lyonnaise ont construit une identité commune et mis en place une politique concertée en matière de recherche et d’enseignement supérieur. C’est la naissance officielle de L’Université de Lyon en tant que pôle de recherche et d’enseignement supérieur (PRES), dont le président est Michel Lussault.
Ce PRES est le fils spirituel du Pôle Universitaire Lyonnais (PUL), créé en 1995 sous forme associative, puis devenu GIP en 2001. Dès 1997, le PUL souhaitait le label « Université de Lyon », afin de clarifier à l’international la complexité de ses filières. Premier PRES de France par ses dimensions, l’Université de Lyon regroupe 20 établissements, 120 000 étudiants, 11 500 enseignants-chercheurs, 5 000 étudiants et 550 laboratoires de recherche. « A Lyon, la variété des établissements et la taille exceptionnelle du PRES nous obligent à construire un modèle fédéral », précise Michel Lussault.(« Un nouveau président légitime : Michel Lussault, professeur de géographie à l’ENS-LSH, succède à Lionel Collet (Lyon I) » in Les Petites affiches lyonnaises du 29/12/2008.) L’ambition de l’Université de Lyon est d’intégrer le Top 30 du classement des universités européennes d’ici 2015.
Site de l’Université de Lyon
Mise en place des pôles de recherches de l’enseignement supérieur (PRES)
Décret n° 2007-386 du 21 mars 2007 portant création de l’établissement public de coopération scientifique « Université de Lyon »
L’Université de Lyon a soumis un projet fondateur à l’appel du ministère de l’Enseignement supérieur : l’opération Campus. L’opération campus est un plan exceptionnel en faveur de l’immobilier universitaire : Il s’agit de faire émerger 10 campus d’excellence qui seront la vitrine de la France et renforceront l’attractivité et le rayonnement de l’université française. Lancée en février 2008, l’opération campus a pour objectif de répondre à l’urgence de la situation immobilière, locaux d’enseignement, logements étudiant… : aujourd’hui près du tiers des locaux universitaires sont vétustes. Les 10 campus ont été sélectionnés par un jury international, sur concours, en deux vagues (mai et juillet 2008). (Site du ministère de l’Enseignement supérieur et de la recherche.
L’opération Campus doit bénéficier d’une dotation de l’Etat de cinq milliards d’euros, dont 3,7 sont déjà disponibles, en provenance de la vente des actions EDF.
Le projet de l’Université de Lyon, intitulé Lyon Cité Campus a été retenu. Il consiste à faire de l’agglomération lyonnaise une métropole du savoir à travers un réseau fortement interconnecté de 4 sites emblématiques : le campus Charles Mérieux (du quai Claude Bernard à Gerland), la Doua, Santé Lyon Est et Porte des Alpes. Deux sites seulement sont retenus dans un premier temps : Lyon Tech à la Doua (Science et technologie au service du développement durable) et le Campus Charles Mérieux (Biosciences et Sciences humaines et sociales).
On connait le montant de la dotation : elle est de 575 M€, placée sur un compte à 4,25% qui devrait rapporter 25 M€ chaque année. 1 600 logements étudiants seraient construits et 800 rénovés. Les collectivités locales ajoutent 117 € à cette dotation. Les travaux devraient commencer fin 2011. (20 minutes, 19 janvier 2009).
Michel Lussault dans un interview publié dans Le Progrèsdu 22 décembre 2008, s’inquiète de « cette concurrence à l’intérieur de l’Université de Lyon » et de la mise de côté de certains sites très dégradés comme Rockefeller (Santé Lyon Est) ou Bron-Parilly (Porte des Alpes) Il faut trouver pour Bron un vrai projet qui ne soit pas seulement « cosmétique ». Dans cette optique, nous cherchons des thématiques d’excellence. Quelques lignes de force apparaissent déjà autour de la culture, des arts de la scène ou du sport…
Un dossier complet, réalisé par Denis Lafay, à lire dans le mensuel Acteurs de l’Economie Rhône-Alpes, décembre 2008 :
- « “Ne pas se laisser dominer par ses craintes” », un interview de Valérie Pécresse
- « A Grenoble, la guerre des chefs »
- « Plan Campus, PRES, Fondations… le spectre du mille-feuilles »
- « Réforme de la recherche : “Le CNRS ? Un poisson qui pourrit par la tête” »
- « Droits de scolarité et sélection : l’orientation toujours négligée »
- « Mariage des deux ENS lyonnaises : des conditions non négociables »
- « Universités et management : le déchiffrage d’Algoé »
2Les racines de l’Université de Lyon2
3Du Moyen âge aux Trente Glorieuses3
Quelques grandes villes françaises étaient déjà pourvues d’université depuis le XIIIe siècle (Paris, Montpellier, Toulouse), et il existait 22 universités à la veille de la Révolution, mais aucune à Lyon. En revanche, Lyon disposait d’un Collège de médecine dès 1500 et en parallèle un enseignement hospitalier à l’Hôtel-Dieu. Une Ecole de dessin fut créée en 1756, devenant Royale, puis Impériale puis L’Ecole Nationale des Beaux-Arts en 1848. Et Claude Bourgelat fonda l’Ecole vétérinaire de Lyon en 1761.
15 septembre 1793. Les universités sont abolies par la Convention, sous prétexte qu’elles sont trop aristocratiques.
10 mai 1806. Napoléon institue l’Université impériale, une corporation qui jouit du monopole de l’enseignement, dirigée par un grand maître, divisée en 22 académies. Dans chaque académie sont créées trois « facultés » dites « professionnelles » (théologie, droit, médecine) ainsi que deux « facultés académiques » de sciences et lettres. Ces deux dernières sont rattachées au lycée du chef-lieu de l’académie. Leur rôle est principalement la collation des grades, en particulier du baccalauréat…Composées de trois ou quatre professeurs chacune, misérablement dotées de moyens, la plupart de ces facultés ne fonctionnaient en réalité, le plus souvent, que comme jurys d’examen…Ainsi à la Restauration (ordonnance du 18 janvier 1816), on supprime d’un seul coup dix-sept facultés des lettres et trois facultés des sciences, pour y substituer aussitôt de simples commissions chargées d’examiner les candidats au baccalauréat…(1).
Ce fut le cas à Lyon. Le Lycée de Lyon, établi par l’arrêté du 19 octobre 1802 et installé dans les murs du Grand Collège (… de la Trinité, emplacement actuel du Lycée Ampère), accueillit ainsi de 1809 à 1816 le rectorat et l’inspection académique ainsi que des ersatz de facultés de lettres, sciences, théologie (2), que les universités lyonnaises ne reconnaissent d’ailleurs pas comme leurs aïeules. Les « véritables » facultés furent créées plus tardivement : 1833 pour la Faculté des Sciences de Lyon, 1838 pour la Faculté des Lettres de Lyon, 1839 pour la Faculté de Théologie de Lyon, qui se maintint difficilement jusqu’en 1885 et laissa ensuite la place à la Faculté Catholique ; la Faculté de Droit est créé en 1875 (11) et celle – très attendue – de Médecine et Pharmacie en 1877.
Un article de F Bouillier dans La Revue du Lyonnais, série 2, n° 21, « La création d’une Faculté de Médecine à Lyon »
12 juillet 1875. La Loi sur la liberté de l’enseignement supérieur, supprime le privilège de l’Etat et autorise l’ouverture de facultés privées. L’Université Catholique de Lyon est ainsi fondée en 1876, crée en 1875 sa Faculté de Droit, puis Lettres et Sciences. Elle est réservée aux prêtres jusqu’en 1933, puis après 1968, ouverte à tout étudiant. Elle fonde en 1878 son école de Théologie, qui deviendra Faculté en 1886. 100 ans après, elle est la plus importante de France en nombre d’étudiants comme en renommée. Elle est membre associé du PRES lyonnais.
Entre 1876 et 1890, Jules Ferry et ses successeurs reconstruisent les facultés – dont celle de Lyon- avec le concours des villes, les dotent d’un budget, créent des chaires de professeurs. Le décret du 28 décembre 1885 leur donne leur statut, la fonction de doyen assisté par une assemblée qui examine les questions relatives aux enseignements (professeurs, enseignants et étudiants) et un conseil d’administration et de cooptation des enseignants (cercle de notables ne comprenant que des professeurs titulaires).
La Loi du 10 juillet 1896 porte création de l’Université. Cette loi donne aux universités nouvelles un statut administratif qui n’évoluera pas de manière significative jusqu’à la loi Faure de 1968. Ses décrets d’application autorisent les universités à créer leurs diplômes propres (à côté des diplômes d’Etat) et leur assure la liberté d’employer leurs fonds particuliers pour la création de cours spécifiques.(1). La seule évolution marquante est la création des IUT en 1966. Christine Musselin (3) attribue à cette longue période le nom de « république des facultés ». Elle est marquée par deux principes : uniformisation et égalitarisme, i.e. un enseignement universitaire théoriquement identique sur l’ensemble du territoire.
L’Université de Lyon de 1896 regroupe les facultés de Sciences, Lettres, Médecine et Droit (11).
Annonce de la création de l’Université de Lyon, [Revue du Lyonnais], 1888, série 5, N°5 , Constitution de l’Université de Lyon.
3Guerres picrocholines3
J-Cl Passeron (1) résume ainsi la période 1950-1980 : La période qui s’ouvre avec les années ‘50′ est celle d’une quête ininterrompue des principes d’une « vraie » réforme universitaire, de l’essai successif de plusieurs stratégies gouvernementales, du carrousel infatigable des groupes de pression, des hauts et des bas du mouvement étudiant, des débats interminablement repris ou minés par les arrière-pensées, mais aussi celle d’affrontements bien réels qui ont introduit sur les campus toutes les formes de la lutte politique et idéologique, les ruses de la petite guerre comme les grandes manœuvres engageant les principales forces politiques françaises.
La Loi n°68-978 du 12 novembre 1968 (dite Loi Faure) suit les évènements de Mai.
Pour J-Cl Passeron, cette réforme éludait ou différait trop de choix de fond, scientifiques, techniques et sociaux, auxquels l’enseignement supérieur allait plus que jamais se trouver confronté dans les années ‘70′ : sélection ou diversification, relations avec les institutions de recherche et le marché du travail…. Prenant en compte les revendications de 68, et qualifiée de démagogique par certains, elle instaure la participation élargie de tous les acteurs (dont les étudiants) à la gestion de l’université, elle fixe une liste de 648 Unités d’Enseignements et de Recherche disciplinaires réparties (quelquefois doublonnées) pour créer de nouvelles universités. Christine Musselin (3) analyse ainsi la mise en application de la réforme : … Les divergences politiques ont été un principe organisateur beaucoup plus efficace que la thématique de la réunion des différents savoirs et elles ont souvent abouti à la création de deux ou trois universités par grande ville, qui tendent à reconstituer les anciennes facultés. Toutefois, elles n’y parviennent que partiellement, car les alliances politiques ont conduit à des rapprochements disciplinaires qui n’existaient pas auparavant, les nouvelles universités dépassant toujours le cadre des anciennes facultés, contraignant différentes disciplines à s’engager dans une gestion plus collective….
Claude Allègre salue dans la Loi Faure la fin du mandarinat, dont il avait été victime, et les balbutiements d’une autonomie, qui est un leurre du point de vue de la gestion, mais sur le plan pédagogique et organisationnel, la loi donnait des souplesses d’organisation extraordinaires et totalement nouvelles. Chaque université pouvait innover. (4)
L’arrêté du 5 décembre 1969 crée l’Université Lyon I et l’Université Lyon II en mariant les anciennes Facultés de Lettres et de Droit.
Ce mariage (politiquement) contre-nature, débouche sur d’incessantes querelles de ménage entre juristes jugés « réactionnaires » et les économistes considérés comme « progressistes ». Le divorce est prévisible. Paul Gravillon, le raconte dans un article du Progrès du 16 juin 1973 : L’Université Lyon II vote sa scission selon proposition du Recteur. Lyon II, qui deviendra l’Université Lumière – à dominante lettres – conserve les sciences économiques et politiques, les sciences sociales et les sciences humaines, les langues et les lettres. Lyon III qui deviendra l’Université Jean Moulin – à dominante droit – obtient le droit (mais les sciences juridiques restent à Lyon II), l’administration et la gestion, un institut d’études du travail et de la sécurité sociale, les sciences humaines, les langues et les lettres. Les enseignants déjà en poste auront le choix entre ces deux universités partiellement concurrentes.
A défaut de fouaces, les deux universités se disputent les moulages du Musée (le Musée appartient à Lyon II mais il est sur le territoire de Lyon III), les locaux du quai Claude-Bernard, le matériel pédagogique qui s’y trouve dont la documentation, les enseignants et les étudiants. La presse, mi-amusée, mi-consternée, rend compte pendant 10 ans des escarmouches (5) entrecoupées de manifestations contre les différentes réformes que J-Cl Passeron se refuse à recenser (1). Le seul point d’accord est le manque de moyens, qui touche également Lyon I. A la fin des années ‘80′, les deux universités se partagent les Quais, tandis que le campus de Lyon II à Bron-Parilly continue son développement. Le 10 octobre 1989, Jean-Michel Dubernard annonce la reconversion de l’ancienne Manufacture des tabacs en locaux universitaires. Ils seront dédiés à Lyon III, la rénovation des bâtiments étant largement prise en charge par la Ville de Lyon.
La réconciliation est prononcée officiellement par les Présidents Eric Froment (Lyon II) et Pierre Vialle (Lyon III), le 25 septembre 1991. Le Progrès titre « Réconciliation publique Lyon II-Lyon III : confrontées aux mêmes problèmes de locaux et d’encadrement notamment, les deux universités font table rase du passé. »
Mai-juin 68 à Lyon un dossier réalisé dans le cadre de la journée d’étude “L’intelligence d’une ville : Mai-Juin 68 à Lyon” organisée par la Bibliothèque municipale de Lyon le 26 avril 2008.
Fonds de l’AGEL-UNEF. L’ensemble des archives de l’AGEL-UNEF (Association Générale des Etudiants de Lyon – Union Nationale des Etudiants de France), témoin de cette période, représente 175 cartons, soit 15 mètres linéaires et couvre une période qui va de 1926 à 1971, date de la scission de la « grande UNEF ». Ce fonds a été largement utilisé dans le cadre de l’exposition « Mai 68 à Lyon ».
3Dernière ligne droite avant l’Université de Lyon3
La pénurie n’est heureusement pas la seule bonne raison de cette réconciliation, tous les acteurs étant d’accord pour dire qu’elle est malheureusement toujours d’actualité… A la fin des années ‘80′, les universités lyonnaises se trouvent…
Dans les années ‘80′, l’écart s’était creusé entre ces principes d’uniformisation et d’égalitarisme d’une part, l’augmentation massive des effectifs (6) et l’hétérogénéité croissante des formations, filières courtes, filières longues sélectives, diplômes universitaires d’autre part. Ainsi les IUT, créés en 1966, attiraient alors peu d’étudiants, mais au cours des années ‘80’… le nombre de candidats à l’entrée a connu un véritablement envol et les IUT sont devenus un enjeu du développement local…(3). Dans le même temps, pour alléger les contraintes budgétaires, le financement d’Etat est complété par celui du privé, des collectivités locales volontaires, de l’Europe. La région Rhône-Alpes est la première à bénéficier du programme d’échange ERASMUS, en 1989.
Un changement majeur s’opère en 1988 avec le lancement des contrats quadriennaux pour les universités qui déposent leur première copie le 15 février 1990. La notion de contrat – Michel Rocard y est très favorable et l’opposition n’est pas contre – n’est pas nouvelle dans les universités qui connaissaient déjà des procédures quadriennales de partenariat entre les équipes de recherche. La politique contractuelle est justifiée par l’affirmation répétée, mais jamais démontrée, de l’existence d’un lien de causalité entre une gestion contractualisée de la répartition des ressources et les chances de réussite de l’enseignement universitaire français face aux évolutions annoncées.(3). Et pourtant, elle tourne.
Les effets majeurs de la politique contractuelle sont d’avoir permis à des universités redynamisées de bénéficier de nouvelles ressources tout en se créant une identité forte et en développant une réflexion stratégique collective à moyen terme, un « projet d’établissement », i.e. un concept. Vis-à-vis du ministère, les universités passent du statut d’assujettie à celui de partenaire. L’autonomie n’est pas loin. L’embellie du management de projet, à la mode à la fin des années ‘80′ dans le privé, a peut-être joué un rôle dans cette adhésion générale à la politique contractuelle (7).
Selon Christine Musselin, le plan Université 2000 (8)s’est appuyé sur l’appétit des collectivités locales pour engager une vaste opération de programmation des implantations universitaires.. Dès janvier1989, Charles Millon, souhaitait intéresser la région Rhône-Alpes, dont il était le président, au développement des universités, à condition cependant qu’elle bénéficie à terme d’un transfert de compétences. La réponse de l’Education nationale est que le transfert n’est pas à l’ordre du jour, même si les régions seront amenées à participer de plus en plus à la vie des universités. Sans ce transfert, la région investit 10 MF en 1989 et 22 MF en 1990, signant le 28 septembre avec les universités 21 contrats d’objectifs plus particulièrement axés sur le développement de formations à finalité professionnelle et les pôles d’excellence. (Lyon-Libération du 27/01/1989, 18, 29 et 30 avril 1989, Lyon Figaro du 17/01/1990 et du 29/09/1990).
En 1993, les étudiants des premiers cycles de Lyon III font leur rentrée à la Manufacture des tabacs, libérant une partie des locaux du quai Claude Bernard pour Lyon II, et à la Doua pour Lyon I. Les querelles de locaux n’ont plus lieu d’être.
Contrats quadriennaux 2007-2010 de Lyon I, Lyon II
L’avant dernière réforme dite LMD (Licence-Master-Doctorat) est mise en application en 2005.…L’université européenne est au cœur du projet européen. Elle sera d’un côté le garant de notre identité culturelle et sociétale, dans la diversité des nations, et de l’autre le ferment du développement économique grâce à la recherche et à l’innovation (4). Toujours selon Claude Allègre, la réforme LMD répond à deux objectifs simples : permettre la mobilité des étudiants dans toute l’Europe et la validation de leurs études où qu’elles soient faites et rendre le système lisible internationalement.
2Les tempêtes2
Les spécialistes des crues du Rhône débattent pour savoir quelle fut la plus importante : 1856 ? 1840 ? 1548 ? (13) Mais quelle fut la pire tempête traversée par les universités lyonnaises ? L’incendie de la grande bibliothèque inter-universitaire des Quais, qui ne connaîtra jamais de réparation ?
« L’affaire Faurisson ». Robert Faurisson, maître de conférences à l’Université Lyon II en 1978 (littérature française du XXe siècle), auteur de travaux sur Céline, de recherches sur l’authenticité du Journal d’Anne Franck et « la genèse de la légende des chambres à gaz » distribue à ses étudiants un polycopié négationniste. Malgré les procédures judiciaires et les condamnations qui s’ensuivent, son nom reste durablement associé à celui de l’Université, dont il sera professeur de 1979 à 1990, détaché au Centre National de Télé-Enseignement.
« L’affaire Roques ». En 1985, Lyon III a pour doyen Bruno Gollnisch, un des leaders du Front national. Au même moment, un professeur d’allemand de Lyon III, M. Jean-Paul Allard, directeur des Etudes indo-européennes, avait présidé le jury de trois personnes qui avait couronné de la mention « très bien » la thèse d’Henri Roques mettant en doute l’existence des chambres à gaz (Le Monde Rhône-Alpes du 28 mai 1986. Voir aussi l’article consacré à Henri Roques par Didier Daeninckx, Quand le négationnisme s’invite à l’université : L’affaire du jury Henri Roques, les Lyonnais débarquent à Nantes
Françoise Bayard et Bernard Comte dans leur ouvrage consacré à l’Université Lyon II (9) relatent en détail les péripéties de l’affaire Faurisson, et s’intéressent également à l’affaire Roques, car Pierre Zind, membre du jury, était aussi professeur associé à Lyon II en sciences de l’éducation.
« L’affaire Roques » est suivie 5 années plus tard par « L’affaire Notin ». A la différence d’Henri Roques, Bernard Notin est maître de conférence à l’Université Lyon III. Dans un numéro hors -série sur « La France vassale », de la revue Economie et sociétés, publiée par l’ISMEA, M. Notin tient des propos au contenu jugé « raciste, révisionniste et ascientifique » par le directeur même de cette revue, M. Gérard Destanne de Bernis, qui l’a découvert après publication et demande aux lecteurs de ne pas tenir compte en attendant une nouvelle diffusion. Intitulé « Le rôle des médias dans la vassalisation nationale : omnipotence ou impuissance ? », l’article constitue un véritable réquisitoire contre l’univers médiatique, ses sophismes, son inculture, voire sa « crétinisation ». (Le Monde Rhône-Alpesdu 30 janvier 1990). L’affaire Notin est celle qui connaîtra le plus grand retentissement médiatique.
Michel Noir, maire de Lyon, s’engage à ne pas fournir des nouveaux locaux [La Manufacture des tabacs] à l’université Jean-Moulin tant que le révisionniste Notin y enseignera (Le Progrès du 30 avril 1990).
Les présidents des trois universités, M. Zech (Lyon I), Cusin (Lyon II) et Vialle (Lyon III) font front commun pour défendre leur notoriété et refuser cette ingérence dans le fonctionnement des universités (Le Progrès du 4 mai 1990).
Le 15 mai 1990, le CA de Lyon III suspend de cours Bernard Notin, d’inscription en doctorat le néo-nazi Georges Pinault et lance une enquête sur l’utilisation des crédits alloués au Centre d’études linguistiques et à l’Institut d’études indo-européennes.
Bernard Notin revient à Lyon III en 1991 en tant que chargé d’études sur la documentation en sciences économiques, la suspension ayant été cassée pour vice de forme par le Conseil National de l’Enseignement Supérieur et de la Recherche. Il quitte Lyon III en 1994.
L’affaire Plantin. Jean Plantin a soutenu en 1990 à Lyon III un mémoire de maîtrise sur Paul Rassinier, épousant les thèses de cet initiateur du négationnisme français dont Maurice Bardèche est considéré comme l’« inventeur ». Il soutient ensuite en 1991 un DEA à Lyon II sur les épidémies de typhus dans les camps de concentration (10) (Le Progrès du 24/04/1999). L’affaire est découverte à l’occasion des poursuites dont fait l’objet Jean Plantin, auteur de la revue révisionniste Akribeia. Yves Lequin de Lyon II et Régis Ladous de Lyon III présentent leur démission, la maîtrise et le DEA sont annulés, puis rétablis, aucun vice de forme ne permettant cette annulation.
Le 15 novembre 2001, le ministre de l’Education nationale, Jack Lang, décide la création d’une Commission sur le racisme et le négationnisme au sein de l’université Jean-Moulin Lyon III. Elle analyse les deux reproches généralement faits à cette université, à savoir l’enracinement, à la fin des années 1970, d’un noyau d’enseignants engagés à l’extrême droite ainsi que des agissements négationnistes symbolisés par les affaires.
Extrait de la conclusion… D’une manière plus profonde, il semble pourtant que le problème relève aujourd’hui plus d’une interprétation du passé que d’une urgence du présent. À ce titre, il n’est pas absurde de penser qu’un « geste » ou une « parole » de l’université pourrait grandement aider à une solution honorable sinon parfaite, sans prendre nécessairement les formes d’une « repentance », ou viser nommément des individus. Il ne nous appartient pas d’aller plus avant dans la réflexion sur la nature ou les modalités d’une telle initiative : la véritable autonomie des universitaires et de l’Université se situe, d’abord et avant tout, dans leur capacité propre à penser et à imaginer l’avenir.
Rapport à Monsieur le ministre de l’Education nationale, par Henri Rousso, septembre 2004. Le Rapport a été publié sour le titre Le dossier Lyon III
L’incendie de la Bibliothèque interuniversitaire Lyon II-Lyon III du quai Claude-Bernard se déclare dans la nuit du 11 au12 juin 1999. Il touche le premier étage et les combles, un quart du bâtiment, soit environ 2 000 à 3 000 m² dédiés au stockage des documents et à leur consultation. Les sapeurs-pompiers mettront 4 heures à maîtriser l’incendie. On estima à 280 000 le nombre d’ouvrages endommagés, brûlés, détrempés, sur les 460 000 que comptaient les collections : tous les ouvrages empruntables, revues savantes, thèses et périodiques du XIXe et XXe disparurent. La majorité du fonds ancien du XVIe au XVIIIe (5 000) a été épargnée, 2 000 ouvrages sont partis en désinfection et 3 000 ont été transférés en lieu sûr à la Bibliothèque de la Part-Dieu. (Livres-Hebdo du 22/10/1999). L’enquête aboutit à un non-lieu, la vétusté des lieux, l’absence de système préventif, étant une raison suffisante.
Depuis, deux nouvelles bibliothèques ont été ouvertes, la Bibliothèque Inter Universitaire de Lettres et Sciences Humaines (BIU-LSH) à Gerland en 2000 et la Bibliothèque Chevreul en 2006.
===========================
(1) Histoire des universités en France , sous la direction de Jacques Verger Du XIIe siècle jusqu’en 1980 : histoire des institutions et législation, organisation des enseignements et programmes, statuts des enseignants, statistiques sur les effectifs…
(2) Education et pédagogie à Lyon, de l’Antiquité à nos jours , sous la direction de Guy Avanzini. Voir en particulier « L’enseignement primaire et secondaire » et « L’enseignement supérieur public », de Roland Saussac, qui relate la naissance difficile des facultés lyonnaises et le rôle majeur des maires de Lyon, Gailletonnsi que la contribution
Jacqueline de Romilly, l’Enseignement en détresse
(3)La longue marche des universités françaises
(4) Vous avez dit matière grise ?, par Claude Allègre. 2006.
(5) Les Universités dans la région Rhône-Alpes. 10 tomes en 18 volumes couvrant la période 1974-1992. Ces dossiers sous forme papier sont prolongés à partir de 1993 par la Base de données des dossiers de presse, qui contient un millier de références d’articles consacrés aux universités lyonnaises.
(6) L’Académie de Lyon compte 76 000 étudiants en 1987 dont 53 500 dans les trois universités lyonnaises. Lyon Figaro titre, le 22 octobre 1988, « Des facultés très encombrées » : Pour la première fois à Lyon, la rentrée universitaire se fait au-dessus de la cote d’alerte. Locaux saturés, équipements dépassés, enseignements surchargés…. Ce constat revient comme une antienne. Lyon III accuse alors une augmentation de 28% des effectifs en première année…et pour mémoire …
- 2 335 étudiants à Lyon en 1898
- 36 500 étudiants en 1973
- 42 600 étudiants en 1978
- 50 000 étudiants en 1982
- 52 000 étudiants en 1985
- 112 303 étudiants dans le Rhône en 2006, sur 134 267 pour l’Académie (Ain+Loire+Rhône), secteur public et privé confondu.
(7) Voir sur le sujet un article de Gilles Garel, intitulé Pour une histoire de la gestion de projet
(8) Les trois universités lyonnaises ont bénéficié du plan Université 2000. Sur une enveloppe globale de 2 milliards de francs, les collectivités locales ont participé à hauteur de 50% : extensions de capacité d’accueil à Lyon I, Lyon II et Lyon III (Manufacture), développement des IUT, rénovation des résidences et des restaurants universitaires… et surtout création d’un « Campus scientifique et technologique » à Gerland, extension de Lyon I, où se trouvait déjà l’ENS. Sur l’implication actuelle de la région Rhône-Alpes dans l’enseignement supérieur et la recherche :
- Schéma régional de l’enseignement supérieur (2005) définit les objectifs actuels de la région Rhône-Alpes
- Les contrats de plan Etat-Région 2007-2013 et celui de Rhône-Alpes
(9) L’Université Lyon 2 1973-2004. Les Françoise Bayard et Bernard Comte analysent les deux « fondations » de l’Université Lyon II, celle de 1969 et celle de 1973. Nombreuses statistiques permettant de comprendre le développement de l’Université. Portraits. 2004
(10) Le sujet n’est pas innocent : une thèse négationniste soutient que les Juifs seraient morts du typhus dans les camps de concentration nazis et leurs corps brûlés pour éviter l’épidémie.
(11) La faculté de droit de Lyon : 130 ans d’histoire , sous la direction de Hugues Fulchiron :
histoire de la fondation de la Faculté en 1875, la Faculté sous l’occupation, Mai 1968, histoire du Palais de l’Université, quelques grandes figures (Exupère Caillemer, Charles Appleton, Paul Pic, Edouard Lambert, Louis Josserand, Emmanuel Levy…, témoignages et riche iconographie. 2006
(12) Petite histoire des crues du Rhône, d’Alain Pelosato.
Partager cet article