Rock’n Rhône [1/4]
Une bataille pour les salles rock, 1976-1995.
Publié le 02/02/2018 à 18:59 - 7 min - Modifié le 28/01/2024 par prassaert
De Louis Pradel à Michel Noir, retour sur deux décennies de luttes et de débats autour des salles rock de l'agglomération lyonnaise. Une mesure à quatre temps à suivre en 2018...
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“Lyon, capitale du Rock !”. La formule choc date du milieu des années 1970, à une époque où des groupes émergeants issus de la nouvelle vague s’imposent sur la scène musicale locale. Dès la fin de l’année 1977 et en l’espace de quelques mois, l’ancienne capitale des Gaules devient l’une des scènes rock les plus importantes de l’hexagone, si ce n’est “la” scène rock du pays. Pour le moins, le point de passage obligé de toute tournée digne de ce nom.
Dans l’agglomération lyonnaise, deux villes sont essentiellement concernées par le phénomène – Lyon et Givors – où se croisent quelques groupes stars d’entre Rhône et Saône tels que Starshooter, Electric Callas, Marie et les Garçons, Ganafoul ou Factory. Un succès qui fait rapidement des émules en entraînant dans son sillage les nouveaux venus comme Killdozer, Safety, Afto, les Divines, Suzy Belle, Madame de, Diamant, Toxic… En 1978, on dénombre ainsi sur Lyon et sa proche banlieue quelques deux cents groupes, chiffre sans doute surévalué mais qui peut raisonnablement être estimé à une bonne cinquantaine, soit les ressources suffisantes pour assurer un concert différent chaque soir de l’année, surtout si l’on y rajoute les formations de passages dans la ville.
Seulement voilà, pour que la scène rock existe, il faut trois facteurs indissociables : des groupes, un public et des lieux. Autrement dit, pas de groupes sans public, pas de public sans lieux et pas de lieux sans groupes. De cette association, les lieux ont toujours fait défaut à Lyon depuis que le rock fut banni des salles municipales et des murs de la cité après un concert houleux de Led Zeppelin au Palais des Sports de Gerland le 26 mars 1973. “Plus de musique de sauvages dans ma ville !”, dixit le maire de l’époque, Louis Pradel, plus intéressé à redessiner la ville à grands coups de pelleteuses et de marteaux-piqueurs qu’à fournir des salles de spectacles à la jeunesse. Et de fait, la parution d’un arrêté précisant que toute musique autre que classique ou d’Opéra est devenue indésirable dans les salles municipales met fin aux espérances et aux rêves de certains.
Dès lors et pendant deux décennies, Lyon se caractérise par une succession de fermetures et de réouvertures des salles municipales aux musiques pop et rock. Il faut cependant convenir qu’à cette époque elles s’adaptent encore fort peu aux musiques dites actuelles : le Palais des Sports réputé pour son acoustique déplorable dont la grande jauge exclue d’emblée les petits groupes locaux incapables d’en amortir la location ; la salle Rameau et sa scène trop étroite, qui plus est située en étage, véritable cauchemar pour les équipes techniques chargées d’installer sonos, éclairages et autres amplis ; la Bourse du travail avec ses sièges fixes, salle peu praticable pour le rock et ses pogos endiablés à défaut d’aménagements importants ; la salle Molière au charme certain et au décor très “rococo” qui n’est pas sans rappeler certaines salles londoniennes, mais qui est elle-même interdite au rock en novembre 1985 après que la ville ait dû faire remplacer une rangée de fauteuils… Sans oublier également que, du Palais des Sports à la salle Molière en passant par la salle Rameau ou la Cigale, la plupart de ces équipements aux calendriers chargés sont fréquemment indisponibles, occupés qu’ils sont par d’autres activités extra-musicales allant des tournois sportifs aux conférences et meetings politiques, jusqu’aux rassemblements syndicaux.
En 1975, face aux demandes répétées, Louis Pradel accepte cependant la réouverture temporaire de la salle Albert-Thomas à la Bourse du travail mais impose aux organisateurs de concerts l’embauche de sociétés privées spécialisées dans les questions de sécurité afin d’assurer leur propre service d’ordre et limiter les débordements. Mais cela n’a qu’un temps, puisque cette salle de 2300 places, idéalement située et facile d’accès, est à nouveau fermée par Francisque Collomb à la suite d’incidents et de l’intervention musclée des forces de l’ordre en marge d’un concert de Patti Smith (28 mars 1978), puis en pleine période des élections cantonales et pour quelques fauteuils détériorés au lendemain d’un concert de Serge Gainsbourg (29 mars 1979).
Devant la mauvaise volonté de la ville à comprendre un phénomène social qui lui est totalement étranger, certains tentent cependant l’aventure en se passant des services officiels. Tel est le cas du mythique “Rock’n Roll Mops” qui s’installe au printemps 1978 dans les locaux d’un ancien dancing, “Le Trianon”, au 25 bis de la rue Edison dans le 3e arrondissement de Lyon. Une salle à la mode, née dans l’après-guerre, plutôt dédiée au musette et aux quadragénaires en mal de cha-cha-cha et de paso doble, et qui accueillit en son temps nombre de soirées à thème en invitant par exemple la jeune vedette Jackie Dallas ou en recevant les prestations de Nanou Couret et du grand orchestre d’André Corbellani. Sa fermeture en 1978 permet à un groupe d’amis réunis autour de Michel et Philippe Demonet, organisateurs de concerts au sein de l’association Veronica Concerts, de combler le vide.
Le “Rock’n Roll Mops” est donc inauguré le 28 avril 1978 avec un concert de Ganafoul, Killdozer et Jacques Higelin en guest-star – ce dernier devant y revenir à plusieurs reprises au même titre que le groupe Téléphone ou Wayne Barrett, étoile filante de la scène punk londonienne –, et s’impose rapidement dans le paysage lyonnais en écrivant accessoirement l’une des plus belles pages du rock à Lyon. L’établissement qui devient l’un des hauts-lieux de la New Wave tricolore se compose de trois salles réparties sur trois niveaux (800, 250 et 100 places). La scène de la grande salle, plus vaste que celle de la salle Rameau, surplombe une piste de danse d’environ 110 mètres carrés, elle-même encadrée de boxes permettant au public de se retrouver. Pour une somme modique et à un rythme de plusieurs concerts par semaine, exception faite des dimanches et lundis (soirs de fermeture), ce lieu privé devient le sanctuaire du hard et du soft rock, le havre de la New Wave, la terre d’accueil du blues, du jazz et de la country.
Mais le 18 mai 1978, soit à peine un mois après son ouverture, l’établissement est contraint à la fermeture suite au passage de la Commission de sécurité de la Ville de Lyon ; certaines normes de sécurité n’ayant pas été respectées. Malgré un délai supplémentaire qui lui est à nouveau accordé à partir du 29 mai, la salle de la rue Edison ferme définitivement ses portes le 30 juin 1978 sur une nuit du rock et avec les “meilleurs groupes vus depuis l’ouverture”. En l’espace d’un mois et demi, une quarantaine de concerts y sont donnés permettant notamment aux groupes du cru de passer “l’épreuve du feu”. Une solution de repli un temps envisagée dans un nouveau local de la rue Vauban, dans le 6e arrondissement, est rapidement abandonnée face au mécontentement des associations des riverains émues par l’éventualité du tapage nocturne et effrayé par la venue dans un quartier résidentiel d’une horde de jeunes en blouson de cuir. Il est vrai qu’un millier de personnes sortant d’un concert à 23 heures ne passe pas inaperçu…
Le printemps rock lyonnais meurt donc par lente agonie au milieu de l’été 1978. L’équipe du Mops a en effet obtenu auprès de Maître Joannès Ambre, adjoint aux affaires culturelles de la Ville de Lyon, l’autorisation d’organiser au Théâtre antique de Fourvière un grand rassemblement du rock français : le festival “New Wave french connection 78”. Une première du genre en ce lieu. Et une conclusion en forme d’apothéose pour feu le Mops. Presque tous les groupes régionaux y sont réunis et plus de 5000 personnes font le déplacement le 29 juillet 1978 pour cette nuit historique et ses douze heures de musique non-stop, sans qu’aucun incident majeur ne soit à déplorer, exception faite de quelques canettes de bières vides lancées sur la scène. De ce “Woodstock lyonnais”, tel que le nommera Robert Belleret, il ne reste plus aujourd’hui qu’un long métrage couleur de 80 minutes, tourné en 16 mm par Gilbert Namiand (Les Films du plateau, 1978). Aussi, ce festival motivera d’autres expériences du même type avec plus ou moins de succès, notamment au mois de février 1979 avec “Rage Against Fascism”, concert organisé par l’extrême gauche lyonnaise au grand amphithéâtre de l’INSA où se retrouvent 4000 personnes, ou bien encore avec le concert “Lyon Rock-Liberté”, pour lequel les Jeunesses communistes obtiennent de la municipalité l’installation d’un chapiteau sur la place du 8 mai 1945, dans le 8e arrondissement.
Du côté de la municipalité lyonnaise, on a fait par la suite beaucoup de promesses, surtout en période électorale où la question des salles rock revient comme un leitmotiv dans les programmes de campagne et à grand renfort d’affiches, notamment lors des élections municipales de 1983 et 1989. Ainsi, la communauté rock de l’agglomération lyonnaise a longtemps attendu “sa” salle de concerts pouvant accueillir deux à trois milliers de personnes. De projets plus ou moins hasardeux en échecs cuisants, la ville va vivre au rythme des propositions mortes-nées et des réalisations éphémères. Comme par le passé, les promoteurs de concerts (Scorpio Productions, KCP de Guy et Philippe Berthier, Dalarna Spectacles, etc.) en sont donc réduits à utiliser les salles que veut bien leur louer les services municipaux.
D’autres s’ouvrent progressivement à la musique en créant des espaces modestes et à contenance réduite, tels Le Café-théâtre de la Graine de la place Saint-Paul (1976), les Clochards Célestes de la rue des Tables-Claudiennes (mars 1979), suivis par une pléiade d’associations qui oeuvrent pour la promotion du rock ou se proposent d’organiser des manifestations, des concerts et des spectacles à des prix raisonnables. Non loin de Lyon, la MJC d’Oullins, l’ENTPE de Vaulx-en-Velin ou l’INSA de Villeurbanne organisent de leur côté de façon régulière des concerts ou scènes ouvertes à raison de deux à trois spectacles par mois. Un peu plus loin dans le Rhône, au Sud de Lyon, “La Colline” de Saint-Symphorien-d’Ozon, réunissant discothèque et salle de concert sur une superficie de 1000 mètres carrés, aura accueilli à l’occasion de son dixième anniversaire en octobre 1978, plus d’un million de jeunes.
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3 thoughts on “Rock’n Rhône [1/4]”
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Merci pour ces informations dans vos 2 premiers volets sur l’histoire mouvementée du Rock qui semble n’avoir jamais été en odeur de sainteté…
Hâte de lire la suite !
Super série ! Hâte de lire la partie sur Grrrnd Zero et ses démêlées avec la Ville de Lyon pui avec le Grand Lyon…
Bonjour, j’aurais aimé trouver des infos sur la période 1968-72, notamment pour documenter les passages de Pink Floyd à Lyon. Ces données sont-elles trouvables ? PS – Super article !!