Université de Lyon : l’intégration au programme

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 07/10/2019 par dcizeron

« UDL » trois lettres pour dire : Université de Lyon. C’est le nom donné au rassemblement de douze établissements universitaires membres et vingt-cinq autres associés. C’est surtout le grand projet porté par les directions de cinq établissements : Université Claude Bernard Lyon 1, Université Jean Moulin Lyon 3, Université Jean Monnet, INSA Lyon et ENS Lyon . Objectif : se rassembler en une seule structure pluridisciplinaire de rang mondial. A terme, cette future université lyonnaise rassemblera 5000 enseignants-chercheurs et plus de 100 000 étudiants.

Un premier plan de l
Un premier plan de l'Université Jean Moulin, Lyon III et à droite le Pont de l'Université, Lyon, par GonedeLyon, CC-BY-SA-3.0

La création de l’UDL[1] annonce des changements majeurs dans l’organisation de l’enseignement supérieur à Lyon et Saint-Etienne. Préparée de longue date par la multiplication des échanges et partenariats entre les différents établissements, elle fait néanmoins figure d’une menue révolution. Est-ce simplement une étape supplémentaire ? Suggère-t-elle des mutations plus durables et profondes de l’université ?

Une université pour la ville globale

Avant d’aller plus loin, voici quelques éléments de contexte qui permettent de mieux comprendre les évolutions de l’université, à Lyon et ailleurs. Dans le réseau mondial et actuel des « villes globales », les fonctions de formation et de recherche tiennent une place prépondérante dans le développement et le rayonnement des villes. La création de l’UDL est ainsi la résultante de trois éléments :

  • L’intérêt porté par les collectivités territoriales à l’université. Celle-ci est vue comme un formidable outil de développement et un acteur capital de l’« économie de la connaissance ». Certes, les liens entre les universités et leur ville ont toujours été forts mais ils sont, depuis une décennie, plus soutenus et contractualisés. La métropole de Lyon (encore Grand Lyon à l’époque) a été l’une des premières collectivités à initier un Schéma de développement universitaire (SDU) en 2010. Ce dernier détermine la stratégie de développement de l’université sur dix ans, en concertation avec les communes de la métropole, le département, la région, l’Université et des acteurs de l’environnement universitaire ou territorial comme le CROUS, le SYTRAL, les Hospices civils de Lyon, Only Lyon… Ce document a servi de modèle pour d’autres collectivités françaises et une nouvelle mouture est attendue pour la période 2020-2030.

    Tramway Campus Doua

    Campus de la Doua, Université Claude Bernard Lyon 1, Xavier Caré / Wikimedia Commons / CC-BY-SA.

  • L’importance croissante des classements internationaux, les plus suivis étant le classement de Shanghai, le CWTS Leiden Ranking ou le classement mondial des universités Times Higher Education. Ils contribuent à une mise en concurrence à l’échelle mondiale des universités.
  • L’intégration économique de la formation supérieure. Les liens entre l’université et le monde économique se sont renforcés avec la création d’une « Fondation pour l’Université » et l’ouverture du conseil d’administration à des représentants de grandes entreprises locales ou de la Chambre de Commerce et d’Industrie. Les étudiants sont perçus comme les acteurs à long terme d’un territoire. L’enjeu étant de profiter localement de leurs compétences et d’accompagner leur potentiel créatif.

    Maison des projets

    Réhabilitation du bâtiment Berthollet, maison des projets, CC0 1.0 Universal

L’Etablissement-cible : l’Université de Lyon

Un impératif pour l’IDEX

Le nom d’ « établissement-cible » est employé pour définir l’Université future, une fois la fusion effective des différents établissements. Le projet a été initié par les établissements fondateurs en vue d’obtenir la labellisation IDEX permettant d’attirer des subsides de l’état dans le cadre des « investissements d’avenir ».

La validation par l’ANR (Agence nationale de la recherche) de la candidature de Lyon au label IDEX est encore en période probatoire. Elle impose des délais serrés pour la construction institutionnelle de la prochaine Université. Un Document d’orientation stratégique (DOS) a été diffusé en mai dernier auprès des instances des universités Claude-Bernard Lyon 1, Jean-Moulin Lyon 3 et Jean-Monnet à Saint-Étienne, l’INSA et l’ENS à Lyon[2]. Il vise à présenter le projet et jeter les bases d’une organisation.

Saint-Etienne Baulier

Sciences Po Lyon campus de Saint-Etienne, Science po, CC BY-SA 4.0

Car la première étape est bien celle de la construction institutionnelle. S’il existe déjà une COMUE Université de Lyon (Communauté d’universités et établissements) qui regroupe ces établissements ; chacun garde à ce jour son indépendance. Il s’agit désormais de définir quelles compétences seront transférées à la superstructure, comment sera organisée la transversalité entre les spécialités présentes dans les différents établissements et déterminer les équilibres dans les instances de gouvernance, à la fois entre les représentants de ces établissements et entre ceux-ci et les « personnalités extérieures ».

Le projet se heurte aux résistances

Le DOS est d’ores et déjà source de tensions comme le montre l’opposition du Conseil d’administration de l’INSA de Lyon au moment du vote du 7 juillet dernier, ou les réserves de différentes instances à l’intérieur des universités. La création de l’Université de Lyon menée tambour-battant par le président de la COMUE, Khaled Bouabdallah, se heurte, à chaque étape, à de sérieux désaccords qui laissent craindre à présent des retards pour l’obtention définitive du label IDEX.

INSA

INSA: the last roll#2, Clément, CC BY-SA 2.0.

Le collectif d’étudiants IDEXIT se fait l’écho de cette contestation. Elle porte notamment sur :

  • La gouvernance marquée par une forte présidentialisation et une ouverture marquée au monde économique et aux décideurs politiques[3] (plus d’un quart des membres du CA).
  • L’éloignement de cette gouvernance qui centralise les budgets et la gestion des ressources humaines pour les universités Claude-Bernard Lyon 1, Jean-Moulin Lyon 3 et Jean-Monnet à Saint-Étienne
  • La crainte d’une perte d’identité à terme pour des établissements prestigieux comme l’INSA et l’ENS, qui gardent pourtant leur autonomie en temps « qu’établissement-cible ».
  • La latitude des « pôles » de formation et de recherche à définir leur politique de recherche. L’attribution des budgets par le biais de Contrats d’Objectifs et de Moyens (COM) inquiète quant aux pressions possibles sur l’indépendance académique des enseignements.

Rendre visible nos domaines d’excellence

Des pôles de formation et de recherche

La création des pôles, mentionnés ci-dessus, est parmi les axes forts du projet.  Le DOS en dénombre huit : « Biosciences et sciences pharmaceutiques », « Droit », « Education et sport », « Ingénierie », « Management and actuarial sciences », « Santé humaine », « Sciences et humanités », et « Sciences, technologie et société ». La délimitation des huit pôles poursuit la logique déjà exprimée dans le Schéma de Développement universitaire 2010-2020 :

  • Distinguer des spécialités à partir des domaines d’excellence des différents établissements, de savoir-faire locaux et des secteurs d’avenir.
  • Doter chaque site universitaire d’un profil et de projets spécifiques fortement identifiable
  • Créer des Campus-phare à l’image du Campus Charles Mérieux à Gerland, spécialisé dans l’infectiologie ou Lyon-Tech la Doua orienté vers les écotechnologies.

    Institut universitaire de technologie Jean Moulin de Lyon III

    Institut universitaire de technologie Jean Moulin de Lyon III; A. Delesse, CC BY-SA 3.0

Parmi les conséquences de l’exclusion de Lyon-II, les sciences dures, juridiques et économiques sont plus représentées que les Humanités au sein des huit pôles de formation. Répercussions réelles ou simple épiphénomène ? En réalité, cette prédominance n’est pas le simple fait des circonstances. La vocation universaliste et académique de l’université est évidemment préservée à l’intérieur des pôles mais il apparait toutefois très nettement, dans les différents documents stratégiques, que ce soit le SDU et ou le DOS, que de nouvelles missions sont assignées à la formation supérieure, au bénéfice de filières « créatrices de valeurs ».

Des enjeux de territoire

L’université est devenue un acteur majeur du territoire, au carrefour de la formation, de la recherche et de l’entreprise. C’est un maillon essentiel de l’attractivité et du développement de la métropole. La mise en place de la spécialisation des pôles de formation pourra ainsi être évaluée à l’aune d’objectifs précis. Elle prétend à :

  • polariser les investissements sur les domaines porteurs et innovants pour lesquels les métropoles de Lyon et Saint-Etienne sont déjà reconnues.
  • apporter les compétences aux entreprises du territoire, y compris par le biais de formations courtes, et faciliter l’émergence de nouveaux entrepreneurs.
  • attirer des enseignants-chercheurs spécialistes de ces domaines et reconnus à l’échelle internationale ainsi que les étudiants les plus prometteurs dans ces spécialités.
  • permettre la constitution d’une « masse critique » mondialement reconnue sur des spécialités bien délimitées.
  • créer des espaces propices à l’innovation grâce à la concentration sur quelques sites d’institutions et d’acteurs pouvant échanger de manière formelle et informelle[4].
Campus de Carnot à Saint-Étienne

Campus de Carnot à Saint-Étienne, domaine public.

Des campus pour l’université de demain

Des campus plus qualitatifs

Cette nouvelle façon de voir l’université accompagne la transformation des campus depuis une dizaine d’années. Le plan « Lyon Cité Campus », lancé en 2008, marque à ce titre une étape importante. Le cadre de vie des étudiants  – dans la politique actuelle de l’offre – est désormais un sujet de préoccupation majeur et la montée en qualité des lieux et des services est notable[5].

Cela passe par le logement mais aussi un accueil plus personnalisé et performant des nouveaux étudiants et des chercheurs étrangers. C’est un plan de déplacement adapté permettant un accès simplifié aux campus et facilitant les échanges entre ceux-ci. Ce sont des équipements modernes, des bibliothèques requalifiées en Learning centers. C’est un accès facilité aux équipements sportifs, culturels, de loisirs, l’organisation d’événements et le souci constant de la « vie étudiante » dans et hors les murs du campus.

Vélo Campuys Doua

Architecture, Campus de la Doua, Franck Grenier, CC BY-NC 2.0

C’est enfin une rénovation « verte » des infrastructures de ces campus, de nombreux bâtiments datant des années 1960-1970. L’aménagement programmé se fera ainsi autour de 4 grands axes :

  • des bâtiments à haute qualité énergétique, dont les matériaux prennent en compte le développement durable.
  • une réflexion sur les mobilités douces : tramway, métro, vélo, espaces piétons.
  • une inscription des campus dans leur quartier, à la fois paysagère avec des espaces naturels qui s’insèrent dans une trame verte, et urbaine ; l’université devra être ouverte sur l’extérieur et porteuse d’une dynamique de « quartier ».
  • Un souci des usages notamment en termes de sécurité.

    ENS Gerland

    ENS Lyon, perspective centrale, Gilles Clément, Free art licence.

L’Université de Lyon au défi de la démographie

L’augmentation de la capacité d’accueil des campus fait également partie des nombreux défis qui se posent aujourd’hui pour l’Université de Lyon. Cette nécessité a été formulée, sans ambiguïté, lors des Assises du Schéma de Développement Universitaire, organisées en juin 2018. L’Université de Lyon devra être en mesure de recevoir près de 40 000 étudiants supplémentaires à l’horizon 2030. Des solutions innovantes sont déjà imaginées :

  • revaloriser l’alternance,
  • développer l’enseignement à distance,
  • développer l’usage de lieux non universitaires
  • délocaliser une partie des lieux d’enseignements.

Plusieurs antennes existent déjà comme à Bourg en Bresse ou Roanne et d’autres villes comme Saint-Etienne bénéficient d’un foncier bon marché qui pourrait ouvrir la voie à des opérations immobilières avantageuses.

LEXIQUE :

IDEX (Initiative D’EXcellence)

Labellisation offrant accès au programmes d’investissement de l’état français nommé « investissement d’avenir », dont le but est de créer en France des pôles d’enseignement supérieur et de recherche de rang mondial. L’engagement de l’Etat envers ces pôles est composé de dotations consommables (subventions) et de dotations non consommables (capital bloqué), dont les intérêts sont versés bi-annuellement aux porteurs de projet.

COMUE

Les communautés d’universités et établissements permettent à des établissements d’enseignement supérieur et de recherche de se regrouper. Elles succèdent depuis 2013 aux pôles de recherche et d’enseignement supérieur (PRES).

Université-cible

L’université-cible fusionne et intègre dans une même structure les différentes universités et écoles d’un pôle d’enseignement supérieur et de recherche, cela induit :

  • la perte de personnalité morale et juridique des établissements
  • une seule entité destinataire de la dotation de l’État, et des recettes des établissements
  • une tutelle universitaire unique des unités de recherche.

    Siège de l'Université Lyon

    Les portes du siège de l’Université de Lyon, rue Pasteur, Nicolas Barriquand pour Médiacités.

Fondation pour l’Université

personne morale de droit privé à but non lucratif créée par un ou plusieurs donateurs (le monde économique et des acteurs publics), pour la réalisation d’une mission d’intérêt général. Il s’agit d’une interface entre les universités et les acteurs socio-économiques. Le modèle de « fondation pour l’université » a été rendu possible par la loi LRU du 10 août 2007.

SDU (Schéma de Développement Universitaire)

Document stratégique proposant un modèle décennal de développement universitaire, en concertation avec les communes et l’ensemble des partenaires impliqués dans l’enseignement supérieur et la recherche.

Bibliographie complémentaire :

Pour approfondir, vous pouvez trouver de nombreux documents mis en accès libre sur le site de l’Université de Lyon.

Pour mettre en perspective ces projets avec l’histoire de l’université à Lyon :

Pour en savoir plus sur les coulisses de l’établissement-cible, le journal en ligne Médiacités à consacré un dossier sur la question, comprenant notamment deux articles de Jennifer Simoes : L’Université de Lyon, vache à lait des consultants et  Université de Lyon : Khaled Bouabdallah, le maître à fusionner qui divise.

Pour réfléchir sereinement sur l’Université française de demain, le blog de Philippe Catin Université 2024

 

[1] La Ville globale : New York, Londres, Tokyo de Saskia Sassen est le best-seller des édiles contemporains. Il s’agit d’une approche économique et sociale de la mondialisation à l’échelle des grandes métropoles.

[2]L’Université Lyon 2 a été écartée le 13 décembre 2017 au motif de réserves exprimée par sa présidente, Nathalie Dompnier. Puis, début juillet 2019, L’INSA s’est également mis en retrait.

[3] En janvier 2019, le Conseil d’administration de l’Université de Lyon comptait trois représentants d’entreprises  (CCI de Lyon, EDF et Sanofi) et quatre personnalités qualifiées (dont Elisabeth Ayrault, présidente de la CNR et Alain Mérieux). Alain Mérieux est un des premiers donateurs à la Fondation pour l’Université de Lyon qui regroupe des entreprises comme le CIC, SEB, Plastic Omnium ou Sanofi.

[4] Ces espaces correspondent bien aux « Systèmes Urbains Cognitifs » (SUC) décrits par Raphaël Besson.

[5] Voir Magali Hardouin et Bertrand Moro, « Étudiants en ville, étudiants entre les villes. Analyse des mobilités de formation des étudiants et de leurs pratiques spatiales dans la cité », Norois, 230 | 2014, 73-88.

 

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