La langue des signes sort du silence

- temps de lecture approximatif de 11 minutes 11 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux

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Au début de l’année 2007, la communauté et la culture sourdes françaises se voient mis à l’honneur par deux événements médiatiques : tout d’abord, en décembre 2006, par l’élection de Miss France 2007 qui a vu une jeune fille sourde, Sophie Vouzelaud, être élue Première Dauphine de Miss France. D’autre part, le 16 janvier 2007 est inauguré à Paris le Centre International d’art et de Culture des Sourds, avec la reprise par la troupe d’Emmanuelle Laborit, l’International Visual Theatre, de la pièce de Shakespeare K. Lear. Cette inauguration marque également les 30 ans d’existence de cette compagnie, fondée en 1976 par l’artiste américain Alfredo Corrado au château de Vincennes. L’IVT œuvre à la fois pour la création et l’expression artistique, mais également pour la diffusion de la langue des signes à travers des cours de découverte et de formation à la LSF et l’édition de documents en LSF. Cette renaissance médiatique nous conduit à nous interroger sur le chemin qu’a parcouru cette langue depuis sa création au XVIIIème siècle par l’abbé de l’Epée.
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Bonjour en LSF

Pour commencer, précisons que contrairement à une croyance assez répandue, la langue des signes n’est pas universelle. Il existe une langue des signes française (LSF), une langue des signes américaine (ASL), une langue des signes britanniques (BSL), etc … Vous pourrez trouver de plus amples informations en cliquant ici. Mais il est vrai que les sourds qui arrivent dans un pays étranger sont capables de communiquer sans problèmes avec leurs homologues au bout de quelques jours, ce qui est loin d’être le cas pour les entendants !
La langue des signes française est officiellement inventée par l’abbé de l’Epée dans les années 1760. En réalité, l’abbé de l’Epée reprend un langage qui existe déjà depuis longtemps (on en trouve trace dès le Moyen Age), mais en lui adjoignant une série de signes calqués sur le français parlé, appelés « signes méthodiques », qui ne sont plus du tout utilisés, ainsi qu’un alphabet manuel, la dactylologie, encore utilisé aujourd’hui pour épeler des noms de lieu ou de personne, par exemple.
LSF
L’important est que l’abbé de l’Epée utilisa la langue des signes pour enseigner à ses jeunes élèves sourds toutes les matières, y compris le français écrit. Il organisa des séances publiques qui eurent beaucoup de succès, notamment à la cour. Son œuvre fut continuée par l’abbé Sicard. Des écoles pour les sourds sont fondées à Paris et un peu partout en France au cours des XVIII° et XIX° siècles.
Mais cette période d’expansion pour la langue des signes et de reconnaissance d’un moyen de communication pour les sourds prendra brutalement fin en 1880, suite au congrès international pour l’amélioration du sort des sourds et muets de Milan, composé uniquement d’entendants, où il est décidé de l’éradication de la langue des signes dans les établissements d’enseignements pour les sourds et muets. C’est donc l’oralisme qui triomphe, l’oralisme qui dénonce la « bestialité » de la langue des signes et proclame l’obligation pour les sourds d’apprendre à parler. Cette théorie, qui peut nous apparaître absurdement dépassée, est tout de même restée en vigueur en France jusqu’en 1991, où le bilinguisme LSF-français est finalement accepté dans les écoles. Et ce n’est qu’en 2005 que la LSF est reconnue comme langue officielle en France.

Pour en savoir plus, vous pouvez consulter l’article de Wikipédia consacré à la langue des signes, découvrir le site Languedessignes.com, qui propose une découverte de cette langue et de ses spécificités, ou encore lire l’excellent essai d’Yves Delaporte, La question sourde.

- La LSF et les médias :
Aux cours des années 1990, le grand public a redécouvert la langue des signes à travers quelques événements médiatiques qui ont marqué l’actualité :
En 1993, Emmanuelle Laborit reçoit le Molière de la révélation théâtrale de l’année, pour son interprétation de Sarah dans la pièce Les enfants du silence, de Mark Medoff. L’année suivante elle écrit un livre, Le cri de la mouette, qui sera traduit en 9 langues.

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Le pays des sourds

En 1993 sort également le film documentaire de Nicolas Philibert : Le Pays des sourds.
Voir, entendre, goûter, sentir, toucher … Nos 5 sens. Mais pour ceux qui n’en ont que 4 ? Ceux qui peuvent voir, goûter, sentir, toucher … mais pas entendre ? A quoi ressemble leur monde, notre monde ? Nicolas Philibert nous entraîne dans un périple humain à la découverte du monde du silence, du monde des signes, du monde des sourds. Et nous oblige à ouvrir grands les yeux, pour entendre grâce à eux ce que les sourds nous racontent des deux mains.

En 1992, La Marche du Siècle avait consacré un numéro spécial de deux heures aux sourds, avec un public composé de sourds et des invités sourds et entendants, une première dans l’univers télévisuel. Depuis 1979, existait une émission hebdomadaire de 5 minutes « Mes mains ont la parole » présentée par Marie-Thérèse Abbou, qui racontait en LSF des contes comme Le petit Chaperon rouge ou Boucle d’Or. A partir de 1994, on assiste à la naissance sur la Cinquième de l’émission hebdomadaire « L’œil et la main » destinée aux sourds et animée par deux présentateurs sourds, Daniel Abbou et Sabine Zerdoum.

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L’Oeil et la Main

La culture sourde reste encore à ce jour largement méconnue du grand public, on ne nous montre que rarement des acteurs sourds à la télévision ou au cinéma, et quasiment jamais leurs productions artistiques spécifiques, comme la production de poèmes visuels, par exemple. Et il en est de même pour leur histoire, surtout celle du XXème siècle et de sa si lente acceptation de la langue des signes. Pourtant, depuis la fin du XXème siècle, certains sourds ont décidé de livrer leur histoire au grand public, afin de lui ouvrir les yeux sur cette réalité si proche de nous et pourtant si mal connue.

- Quand les sourds prennent la parole :

Deux témoignages biographiques jettent un éclairage passionnant sur cette période :

Moi, Armand, né sourd et muet …, Armand Pelletier, ed. Pocket :

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Moi, Armand, né sourd et muet

Ce récit d’Armand Pelletier, écrit en collaboration avec l’ethnolinguiste Yves Delaporte, et suivi d’un essai du dernier sur la langue des signes intitulé « La question sourde », est un livre absolument bouleversant dans le sens où il nous fait découvrir ce qu’était la vie d’un sourd dans notre France moderne de la seconde moitié du XXème siècle. On peut noter que le sous-titre de cet ouvrage est éloquent :« Au nom de la science, la langue des signes sacrifiée ». Pour lire une critique de cet ouvrage, cliquez ici.

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Le cri de la mouette

Le cri de la mouette, Emmanuelle Laborit, Pocket :
Jusqu’à l’âge de 7 ans, Emmanuelle ne sait communiquer avec son entourage que de façon sporadique, avec les mots qu’elle apprend inlassablement à vocaliser lors de ses séances d’orthophonie. Il lui arrive de pousser des cris discordants, stridents, des cris d’oiseau de mer, d’où son surnom de Mouette. Lorsqu’elle a 7 ans, ses parents entendent parler pour la première fois du travail en France de deux américains, qui viennent de fonder à Vincennes une école de langue des signes couplée à un théâtre, l’International Visual Theatre, et décident d’y emmener leur fille. Et pour la jeune Emmanuelle, c’est une véritable révélation, et l’apprentissage de la langue des signes va lui permettre de révéler sa vraie nature, de jeune fille volontaire, curieuse, bavarde, assoiffée de connaissances et de communication. C’est son parcours que nous raconte cette jeune femme rayonnante, un parcours qui n’a pas été toujours rose, ni toujours noir, et qui a éclaté au grand jour en 1993 lorsqu’elle a reçu le Molière de la Révélation féminine de l’année.


Histoire de ma vie


Un peu plus ancien, mais tout aussi passionnant, l’histoire d’Helen Keller, une américaine devenue sourde, muette et aveugle à l’âge de 18 mois, a suscité l’admiration du monde entier par son courage et sa détermination à apprendre à communiquer avec le monde, à suivre des études supérieures et à s’investir totalement dans la société. Vous pouvez lire Sourde, muette, aveugle, histoire de ma vie, d’Helen Keller, chez Payot, ou bien sa biographie romancée par Lorena A . Hickok intitulée L’Histoire d’Helen Keller, chez Pocket Junior.

Enfin, puisque le monde du silence est avant tout celui de l’image, voici un album qui est une oeuvre collective de plusieurs dessinateurs et scénaristes de bandes dessinées :

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Paroles de sourds

Paroles de sourds, recueil préfacé et présenté par Bénédicte Gourdon, Delcourt :
« Les récits que vous allez lire parlent des sourds, du monde dans lequel ils vivent – qui est le même que le nôtre – et de la façon dont ils le perçoivent. Ils décrivent simplement leurs conditions et leurs parcours. Quand les sourds parlent d’eux-mêmes, leur discours est souvent teinté de honte et de colère, mais il est impossible de ne pas y percevoir aussi de la passion et du courage. […] D’autres témoignages composent ce recueil. Ils émanent de personnes entendantes, proches des sourds (interprète, enfant entendant de parents sourds, etc.) et mettent en évidence les difficultés à être, être simplement sourd dans un monde d’entendants. » Extrait de la préface de Bénédicte Gourdon

- La LSF et les enfants :

La surdité peut survenir à tous les âges de la vie, suite à un accident ou à une maladie, mais peut également être de naissance, et la découverte de ce handicap, surtout au sein d’une famille d’entendants, amène de nouveaux besoins au sein de la famille, et nécessite souvent une autre organisation de la vie de l’enfant, notamment au niveau scolaire.

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Signe avec moi

Signe avec moi, Nathanaëlle Bouhier-Charles, Monica Companys, ed. Monica Companys :
Pour les enfants sourds, la langue des signes est le seul moyen d’expression. Mais pour tous les autres, c’est aussi une possibilité formidable d’apprendre un nouveau mode de communication, et de s’y mettre très tôt ! Dans leur livre Signe avec moi Nathanaëlle Bouhier-Charles et Monica Companys nous montrent comment les enfants pré-verbaux (avant 18 mois) ont déjà la capacité musculaire et motrice de signer, et comment on peut apprende à communiquer avec eux à l’aide de quelques signes simples. Cette méthode, qui arrive des Etats-Unis, où les sourds et la langue des signes sont bien plus intégrés à la société qu’en France, peut également être utilisée par des parents entendants d’enfants sourds, par exemple.

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La scolarité d’un enfant sourd

La scolarité d’un enfant sourd, Martine Beaussant, ed. L’Harmattan :
L’auteure de ce court essai est sourde, et elle a consacré une partie de ses recherches universitaires à la scolarisation des enfants sourds. Ce livre, destiné au grand public, expose quelques réflexions sur la scolarité des petits sourds : comment un enfant sourd peut-il avoir accès au savoir, alors qu’il n’entend pas les paroles de son instituteur ? Quel type de scolarité envisager pour lui ?

Quels sont les textes de loi reconnaissant la LSF comme langue à part entière ? Voir …

Qui est l’inventeur de la langue des signes ? Voir …

Existe-t-il des services destinés aux sourds dans les bibliothèques françaises ? Voir …

Où apprendre la LSF dans la région lyonnaise ? Voir …

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