Sériciculture : la Soie entre Chine et Rhône
Publié le 11/02/2014 à 00:00 - 13 min - Modifié le 30/09/2022 par Admin linflux
La sériciculture ou l'élevage du ver à soie est née en Chine il y a environ 4500 ans. Longtemps gardé secret, son procédé de fabrication va néanmoins gagner l'Europe au fil des siècles, par l'intermédiaire de la célèbre "Route de la Soie", et faire de Lyon sa capitale mondiale pendant près de deux siècles. Retraçons cette aventure plurimillénaire et ce qu'il en subsiste aujourd'hui.
La sériciculture ou l’élevage du ver à soie est née en Chine et le secret de fabrication fut gardé précieusement pendant de longs millénaires. Le commerce de la soie prit cependant un bel essor et dès le IIe siècle av. J.-C., la célèbre « Route de la Soie » draina commerçants et aventuriers à travers le continent eurasien. La route se terminait sur les bords de la mer Méditerranée, d’où les soieries gagnaient toute l’Europe, et plus particulièrement l’Italie, la France et Lyon. La cité lyonnaise fut de la Révolution française jusqu’en 1914, la capitale mondiale de la Soie. Qu’en-est-il aujourd’hui ? Partons sur les traces du fil de soie, de sa fabrication d’hier à aujourd’hui, de Chine ou de la vallée du Rhône et de Lyon.
Sommaire :
1. La sériciculture
2. La sériciculture hier
3. La sériciculture aujourd’hui
1. La sériciculture
La sériciculture se nomme 蠶業 en chinois, allevamento de bachi da seta en italien ou encore sericulture en anglais.
La sériciculture est l’ensemble des techniques qui permettent de produire le fil de soie à partir du ver à soie. Cela comprend la culture du mûrier – le ver à soie se nourrissant exclusivement de ses feuilles -, l’élevage du ver à soie pour l’obtention du cocon, le dévidage du cocon, et la filature de la soie.
Historiquement, si l’on en croit la légende, une princesse chinoise du nom de Xi Linshi fut la première à avoir dévidé un fil de soie à partir d’un cocon tombé dans sa tasse de thé.
Ce dont on est certain c’est que les Chinois, grâce à une observation et une recherche minutieuses, ont réussi à domestiquer le ver à soie du Mûrier, Bombyx mori, à partir d’un ver sauvage. Tant et si bien que le ver à soie n’existe plus à l’état sauvage et que sa survie repose entièrement entre les mains des hommes.
Après avoir planté les mûriers blancs, l’élevage du Bombyx du mûrier consiste après l’obtention des “graines” de ver à soie, à installer les larves dans des conditions de température (20-23°C) et d’humidité contrôlées. Les larves vont croître rapidement, muant quatre fois pour passer par cinq stades. Après 5 semaines de croissance, les larves du ver à soie s’arrêtent de manger et se constituent un cocon pour pouvoir se transformer plus tard en chrysalide puis en papillon.
L’ingénierie humaine intervient avant que le papillon ne brise le fil de soie confectionné qui peut mesurer entre 500 et 2 000 mètres. Il s’agit alors d’étouffer les cocons pour tuer les chrysalides puis de débarrasser le fil de soie de sa “gangue”, pour pouvoir le filer. Le fil de soie ainsi obtenu sera alors apprêté et prêt à être utilisé pour confectionner des objets de luxe.
Pour poursuivre la découverte de cet univers, le Musée des Confluences a fait paraître un ouvrage richement illustré intitulé Les Ailes de la soie (2009).
Ce livre invite le lecteur à découvrir non seulement l’histoire classique de la soie produite à partir du fil du bombyx du mûrier, mais aussi par d’autres espèces sauvages de papillons. Ce voyage aux sources de la soie s’appuie sur le riche fonds d’insectes et d’échantillons conservés dans les réserves du Musée des Confluences et confiés par de nombreux collectionneurs privés ou par des institutions, à l’instar de la collection du Laboratoire de la Condition des Soies.
La visite de quelques sites vous renseignera également sur toutes les étapes et tous les soins apportés aux vers à soie :
- Le Musée de la soie, à Saint-Hyppolyte-du-Fort (Gard, Cévennes) vous propose de commencer un élevage de vers à soie et d’autres articles sur la sériciculture.
- L’Encyclopédie Universalis publie un court article sur la sériciculture et une animation sur le cycle de vie du ver à soie jusqu’à l’obtention du fil de soie.
- le site d’Intersoie, association interprofessionnelle de la soie qui organise l’incontournable marché des soies à Lyon, sur la soie et les techniques associées.
- L’Encyclopédie Wikipédia présente une rapide synthèse sur la sériciculture ainsi qu’un tableau récapitulatif de la production séricicole française de soie de 1801 à 1841.
2. La sériciculture hier
Depuis près de 4500 ans, la Chine s’attelle à développer la sériciculture tout en gardant jalousement les secrets de fabrication. Cependant, au VIe siècle, le secret est éventé et l’économie de la soie se développe, en particulier le long de la fameuse Route de la Soie jusqu’à l’époque des Grandes Découvertes et des navigateurs portugais.
En Europe, au cours du Moyen Age, de Constantinople, la sériciculture se répand par l’intermédiaire des Arabes, en Espagne via l’Andalousie, en Italie, puis en France. En Italie, la production se développe principalement au nord de la plaine du Pô, du Piémont à la Vénétie.
En France, les premiers mûriers sont recensés en Provence en 1266. La production se développe en Provence et dans les Cévennes au cours du Moyen-Âge et de la Renaissance. En 1536, le roi François Ier accorde le monopole de la production de soie à Etienne Turquet et Barthélemy Naris, marchands piémontais installés dans la ville de Lyon.
Puis au temps du roi Henri IV, Olivier de Serres, natif de Villeneuve-sur-Berg, en Vivarais (Ardèche) promeut l’élevage du ver à soie en France dans son célèbre La cueillete de la soye par la nourriture des Vers qui la font. Echantillon du Theatre d’Agriculture d’Oliver de Serres Seigneur du Pradel, paru en 1599.
Le ver à soie se nourrissant exclusivement de feuilles de mûrier, Olivier de Serres poursuit sa réflexion en publiant en 1603 La seconde richesse du meurier blanc qui se treuve en son escorce pour en faire des toiles de toutes sortes, non moins utiles que la soie, provenant de la feuille d’iceluy
Le grand froid qui traverse la France en l’année 1709 terrasse les forêts de chataigniers cévenoles et de la vallée du Rhône et fait basculer l’économie de la région vers la sériciculture.
Et pourtant, jusqu’au début du XIXe siècle, la Chine demeure l’épicentre de la production de la soie. Cette avance technologique se traduit par un transfert des connaissances de Chine vers l’Europe.
On lira à ce propos, l’article intitulé Enquêtes françaises sur la sériciculture chinoise et leur influence, fin XVIIIe-fin XIXe siècles qui nous en propose une rapide synthèse.
Mau Chuan-Hui, du Collège de France, professeur à l’EHESS, nous dévoile les échanges scientifiques liés à l’industrie séricicole qui eurent lieu entre la Chine et la France, à l’initiative des Français au cours des XVIIIe et XIXe siècles. Quelques personnages tels que Boissier des Sauvages, Camille Beauvais, d’Arcet, Pasteur, et tant d’autres parsèment cette aventure scientifique. Cette circulation des techniques séricicoles se fit d’abord de la Chine vers l’Europe pour revenir à la Chine avec des « améliorations » européennes.
Auparavant, le jésuite Jean-Baptiste du Halde (1674-1743) resté à Paris, fait paraître en 1735 la Description géographique, historique, chronologique, politique et physique de l’empire de Chine et de la Tartarie chinoise, en 4 volumes. Cette somme, composée à partir des Lettres édifiantes et curieuses, ainsi que de nombreux rapports inédits, mais aussi de traductions de textes chinois, décrit la richesse de la civilisation chinoise, et dresse un panorama des connaissances scientifiques et techniques chinoises : sont présentées la science et la médecine, mais aussi la fabrication de la porcelaine. Dans le tome II, l’auteur disserte sur les soieries et les vers à soie en Chine. Ce texte connaîtra encore le succès en 1879 lors d’une réédition à Montpellier.
La Bibliothèque nationale de France nous en propose un court exemple : le dessin au trait publié en France en 1735 et son équivalent original chinois de la technique de l’étouffage des cocons dans un bain de vapeur.
La distance entre la Chine et l’Occident conduit cependant les Européens et les Chinois à inventer des techniques presque similaires pour l’élevage des vers à soie, comme les systèmes de ventilation dont celui de M. Darcet.
Il faut attendre le XIXe siècle pour que les échanges scientifiques se développent vraiment. La sériciculture en France connaît alors son âge d’or, sous l’impulsion des pouvoirs publics. Ces derniers encouragent la recherche sur le ver à soie et le mûrier, et cherchent à informer sur les techniques mises en œuvre par les Chinois. Dans cette optique, paraît en 1837 la traduction par Stanislas Julien, sinologue réputé, du Résumé des principaux traités chinois sur la culture des muriers et l’éducation des vers à soie.
Le préfacier de l’ouvrage, Camille Beauvais, rappelle à ses futurs lecteurs l’avance technologique des Chinois dans le domaine de la sériciculture et souhaite ardemment que les procédés exposés dans l’ouvrage puissent nourrir le développement de la filière séricicole française : « le temps et l’expérience feront, je l’espère, apprécier à leur juste valeur ces méthodes naturelles, ces attentions délicates, ces précautions sages et multipliées qui recommandent les auteurs chinois. On comprendra aisément qu’un peuple observateur, qui a inventé, […] l’imprimerie, la poudre à canon, et qui, pendant quarante siècles, regarde l’industrie de la soie comme sa principale richesse, doit l’avoir portée à un haut degré de perfection, et que nous ne saurions mieux faire que d’aller puiser à la source même de nouvelles connaissances et de nouveaux perfectionnements. Si, par une judicieuse application des procédés des Chinois, nous parvenions à égaler leurs succès, bientôt la face de cette industrie serait changée en France. […] J’ai déjà expérimenté deux méthodes chinoises qui m’ont donné les résultats les plus heureux : […] ».
L’ouvrage est d’importance car il sera traduit en italien cette même année par le Lyonnais Matthieu Bonafous.
L’effort des Lyonnais ne s’arrête pas là et la chambre de commerce de Lyon mandate le stéphanois Isidore Hedde (1801-1880), rubanier, pour représenter la filière soyeuse au cours de la mission Lagrenée en Chine (1843-1846). Cette mission avait pour objectif de développer les relations commerciales entre la France et la Chine, et en particulier d’observer les techniques chinoises de tissage, d’en rapporter des échantillons, mais aussi de développer l’achat de soie brute et la vente de soieries françaises. La mission rapporta quelques dix mille objets ! Ceux-ci furent exposés à Paris en 1846, puis à Lyon en 1847 et Saint-Etienne en 1848, exposition pour laquelle fut édité un catalogue exhaustif : Description méthodique des produits divers recueillis dans un voyage en Chine et exposés par la Chambre de commerce de Saint-Etienne… : exposition des produits de l’industrie sérigène en Chine.
Le revers de la médaille de l’essor exponentiel de la sériciculture en France s’accompagne de l’apparition de nouvelles maladies. Le ver à soie est l’objet de maladies spécifiques telles que la muscardine, la pébrine ou la flacherie. La pébrine surtout ravage les élevages de vers à soie, de la même manière que le phylloxéra, la vigne. Cette maladie apparue à Cavaillon en 1843 gagne toute la France en 1845, puis envahit les élevages du monde entier.
Tandis que, pour se fournir en graines saines, les éleveurs français montent des expéditions vers des contrées de plus en plus en lointaines, Caucase, Chine, Japon, à mesure que la maladie se répand, les scientifiques occidentaux, principalement français, s’attachent à en comprendre les mécanismes pour les combattre. Les ouvrages de cette époque témoignent de l’intensification des recherches liées au développement de ces maladies, et un début de professionnalisation de la filière.
La pébrine est découverte vers 1849 par Félix-Edouard Guérin-Méneville (1799-1874), puis étudiée par Emilio Cornalia (1824-1882) qui publie ses recherches dans une Monografia del bombice del Gelso, publiée à Milan en 1856. Entre 1865 et 1869, Louis Pasteur crée un laboratoire et met au point une sélection sanitaire du grainage encore pratiquée aujourd’hui, comme il l’explique dans ses Etudes sur la maladie des vers à soie : moyen pratique assuré de la combattre et d’en prévenir le retour, publiées à Paris en 1870.
Plus tard, les ouvrages du 20e siècle montrent l’émergence de la mondialisation des recherches sur l’élevage du ver à soie et plus seulement réservée à la France ou l’Italie. L’importance de l’économie de la soie et les difficultés rencontrées poussent les chercheurs à se rencontrer. Des Congrès internationaux séricicoles s’organisent, tenus en 1874 ou en 1878 lors de l’exposition universelle de Paris.
A Lyon, les soyeux se démènent tout au long du XIXe siècle pour assurer la prédominance et la pérennité de la soierie lyonnaise. Eric Hamaide en décrit tous les tenants et aboutissants dans sa thèse soutenue en 1999, intitulée Les relations entre Lyon et la Chine au XIXe siècle
3. La sériciculture aujourd’hui
Les maladies, l’invention de la rayonne (aussi appelée soie artificielle) et du nylon, ont profondément bouleversé l’économie de la soie et de l’élevage du ver à soie. Dans les années d’après-guerre, la communauté internationale dont la France tentent de relancer la sériciculture. André Schleck et la France invitent tous les pays producteurs de soie au congrès international séricicole d’Alès en 1948. (document pdf)
Une partie de ces pays décident ensuite de fonder la CSI, Commission Séricicole Internationale (en anglais), qui fait paraître une revue trimestrielle la Revue du ver à soie – Journal of silkworm, devenue en 1979 la revue Sericologia, où paraissent des articles des chercheurs en sériciculture du monde entier.
Dans les années 1970, L’INRA s’installe au bas de la colline de Sainte-Foy-lès-Lyon, à La Mulatière, au lieu-dit le Petit Fontanières (document pdf), qu’elle partage avec la CSI.
Les laboratoires jouxtent les terrasses dominant Lyon, où quelque 70 espèces de mûriers profitent de l’expertise des chercheurs lyonnais. Plusieurs missions sont affectées au laboratoire comme la préservation des souches européennes de Bombyx mori et de mûriers, l’amélioration des espèces de vers à soie, la lutte contre leurs maladies ainsi que la recherche sur l’éventuelle production de molécules pharmaceutiques proches de la sérine utile dans l’élaboration du fil de soie.
Plus récemment, en 2011, Bernard Mauchamp, ancien directeur de l’Unité de Recherche en Sériciculture de Lyon nous partageait ses connaissances au cours d’une conférence tenue à la Bibliothèque municipale de Lyon, conférence intitulée le ver à soie : un patrimoine vivant ?.
Témoin de cette évolution récente de la sériciculture en France, Françoise Clavairolle a publié deux ouvrages sur le sujet : Le magnan et l’arbre d’or : regards anthropologiques sur la dynamique des savoirs et de la production : Cévennes 1800-1960 et Chronique d’une relance annoncée : le renouveau de la production de la soie en Cévennes, 1972-1998.
Parallèlement, dans un souci de valorisation du patrimoine séricicole, la Bibliothèque municipale de Lyon conserve deux fonds dédiés plus particulièrement à la sériciculture :
* Le fonds Bonafous, du nom de son ancien propriétaire, le Lyonnais Matthieu Bonafous (1793-1852), agronome et ancien directeur du Jardin des plantes de Turin qui par son action et ses diverses publications, promut sans relâche la sériciculture des deux côtés des Alpes. Ainsi, suite à la parution en 1837 du Résumé des principaux traités chinois sur la culture des muriers et l’éducation des vers à soie, Matthieu Bonafous en publie cette même année une traduction italienne, Dell’arte di coltivare i gelsi e di governare i bachi da seta secondo il metodo chinese : sunto di libri Chinesi.
* le Fonds Alain Yves Aimé Fournier (1945-2006) du nom de cet ancien chercheur de l’INRA qui a légué sa collection de près de 450 livres sur l’élevage de soie patiemment amassée en France et au cours de ses voyages professionnels à l’étranger en terres séricicoles, en Inde et au Japon. (Cf. Un don récent à la Bibliothèque municipale de Lyon, Le fonds de sériciculture Alain Fournier (1945-2006) in Bulletin municipal de Lyon, 29 juin 2009, n°5801.
Cependant, à l’image du basculement du monde de l’occident vers l’Asie, la Commission Séricicole Internationale a quitté Lyon en 2012 pour rejoindre l’Inde et se rapprocher des centres de production de la soie.
En effet, la production française de soie en 2012 se résume à 8 producteurs orientés vers les visites de démonstrations et pédagogiques, tandis que la Chine a gardé son leadership dans la production de la soie. En 1995, la Chine produisait près de 50% de la soie, devant l’Inde et le Japon, tous deux à 15% de la production mondiale. (source : le ver à soie un passé prestigieux, un avenir prometteur ; document pdf paru dans la revue Phytoma).
Témoins de cette évolution, la majorité des ouvrages les plus récents du Fonds Fournier sont publiés en Asie.
Parallèlement, la Chine a obtenu en 2009, à l’égal de la gastronomie pour la France, le classement de la sériciculture et l’artisanat de la soie en Chine sur la liste représentative du patrimoine culturel immatériel de l’humanité.
Abandonnant la sériciculture, Lyon s’est repositionné sur la recherche et l’innovation sur la soie et promeut la soie à travers son festival Label Soie.
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One thought on “Sériciculture : la Soie entre Chine et Rhône”
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Bonjour,
J ai l honneur de vous demander de bien vouloir m envoyer a mon adresse postale tout support pédagogique ainsi que d échantillons relatifs a la soie naturelle.
Je vous informe que je suis un ingénieur en textile et j enseigne la technologie des textiles,et je me manque de ces moyens pédagogiques afin de mener ma mission en bonne et due dorme.
Comptant sur votre entière collaboration,
Salutations cordiales dans l attente de réception de vos supports.
Merci beaucoup.
Mon adresse postale est la suivante
Mr ATIK HAMOUD. KHALED
ECOLE. TAHIR ALI. BIRKHADEM
ALGER. 16029
ALGERIE
Email: khale184@hotmail.com